Contrats de travail
Le contrat de travail est la pierre angulaire de la relation employeur-salarié en Chine, et son audit est la première étape, et non des moindres. Beaucoup d'entreprises, surtout celles nouvellement implantées, ont tendance à calquer leurs modèles de contrat sur ceux utilisés dans leur pays d'origine, ce qui est une erreur fondamentale. La loi chinoise du travail impose des clauses obligatoires très précises : la durée de la période d'essai (qui ne peut excéder un certain nombre de mois en fonction de la durée du contrat), la description précise du poste et du lieu de travail, les heures de travail et le système de repos, la rémunération et son mode de paiement, ainsi que la couverture sociale. L'absence de l'une de ces clauses peut rendre le contrat partiellement ou totalement invalide. Je me souviens d'une entreprise française dans la tech qui avait omis de spécifier le lieu de travail précis, se contentant de "Shanghai". Lors d'une restructuration, ils ont voulu déplacer un employé dans un nouveau district, ce qui a conduit à un conflit majeur. L'employé a contesté le changement, et l'entreprise s'est retrouvée en position de faiblesse juridique. Un contrat bien rédigé, conforme à la loi chinoise, est la première ligne de défense contre les litiges. Il doit également anticiper les situations de fin de contrat, que ce soit par résiliation amiable, licenciement pour motif personnel ou économique, en précisant clairement les conditions et les procédures à suivre pour éviter toute interprétation abusive.
Au-delà du fond, la forme et le processus comptent tout autant. L'audit vérifie que le contrat a bien été signé dans le mois suivant l'embauche, comme l'exige la loi. Il s'assure également que l'employé a bien reçu un exemplaire original signé. Dans la pratique, je constate que certaines entreprises négligent cette formalité, gardant tous les exemplaires signés, ce qui est illégal. Un autre point sensible est la modification du contrat. Toute modification substantielle des conditions (salaire, lieu de travail, fonctions principales) nécessite l'accord écrit du salarié. Une simple notification par email ou un accord oral ne suffit pas et expose l'entreprise à un risque de réclamation pour paiement rétroactif de différences salariales. L'audit passe donc au crible non seulement le document lui-même, mais aussi tout le cycle de vie du contrat et ses éventuels avenants.
Rémunération et cotisations
C'est probablement le chapitre le plus technique et le plus lourd de conséquences financières. La complexité vient de la structure même du salaire en Chine, divisé entre salaire de base et éléments variables, et des cotisations sociales obligatoires ("wuxian yijin"). Une erreur courante est de fixer un salaire "tout compris" (package) sans détailler sa composition, ce qui pose problème pour le calcul des heures supplémentaires, des indemnités de congé et, surtout, de la base de cotisations sociales. La loi stipule que les cotisations doivent être calculées sur la totalité de la rémunération mensuelle moyenne de l'employé, avec une fourchette plancher/plafond définie par les autorités locales de Shanghai chaque année. Sous-déclarer la base de calcul pour réduire les cotisations est une tentation, mais c'est un risque grave. Les autorités fiscales et sociales disposent aujourd'hui de systèmes de croisement de données de plus en plus performants.
Je pense à un client, une PME allemande, qui pratiquait depuis des années le versement d'une partie du salaire sur un compte bancaire hors de Chine pour minimiser les cotisations locales. Lors d'un contrôle inopiné, l'administration a exigé l'accès aux relevés bancaires internationaux des dirigeants expatriés et a reconstitué la masse salariale réelle. Le redressement, avec pénalités et intérêts de retard, a été catastrophique pour la trésorerie de l'entreprise. L'audit doit donc vérifier scrupuleusement la cohérence entre les salaires déclarés, les salaires effectivement versés, et les bases de cotisations. Il examine aussi le paiement des heures supplémentaires, dont le taux majoré (150%, 200%, 300%) doit être strictement appliqué, et le respect du salaire minimum en vigueur à Shanghai, qui est l'un des plus élevés de Chine.
Durée du travail et congés
Le système chinois de durée du travail, avec ses 40 heures hebdomadaires standard et ses règles strictes sur les heures supplémentaires, est souvent mal compris. Beaucoup d'entreprises étrangères appliquent inconsciemment une culture du "présentéisme" ou du travail flexible sans en formaliser les modalités, ce qui est risqué. L'audit vérifie l'existence et la validité d'un système d'enregistrement des heures de travail approuvé par les salariés. Sans ce document, toute heure travaillée au-delà de la durée légale peut être réclamée comme heure supplémentaire, même si elle n'était pas formellement demandée par l'employeur. Un cas typique : une entreprise américaine où les ingénieurs restaient souvent tard par "passion du projet". Un départ a conduit à une action en justice pour réclamation de centaines d'heures supplémentaires non payées. Sans système d'enregistrement validé, l'entreprise a perdu.
Les congés sont l'autre volet critique. Outre les congés annuels légaux (qui varient selon l'ancienneté), il faut accorder une attention particulière aux congés matrimoniaux, de deuil, prénatals et de maternité/paternité, dont les durées sont fixées par la loi. L'erreur fréquente est de refuser ou de raccourcir arbitrairement ces congés. Par exemple, le congé de maternité à Shanghai est d'au moins 158 jours. Tenter de le réduire ou de mettre la pression sur une salariée pour qu'elle revienne plus tôt est illégal et expose à des sanctions sévères et à une très mauvaise publicité. L'audit examine les politiques internes et les pratiques réelles pour s'assurer du respect intégral de ces droits, qui sont des sujets très sensibles et bien défendus par les employés en Chine aujourd'hui.
Fin de contrat et licenciement
C'est le moment où les risques juridiques culminent. Licencier un employé en Chine est un processus encadré, bien plus protecteur pour le salarié que dans de nombreux pays occidentaux. La notion de "licenciement abusif" est large, et la charge de la preuve incombe presque toujours à l'employeur. Un audit va scruter les motifs de chaque départ. Pour un licenciement pour faute grave (incompétence, violation grave de la discipline), l'entreprise doit prouver que les objectifs de performance étaient clairs, communiqués, et que l'employé a été formé et accompagné avant toute mesure radicale. Elle doit aussi démontrer que le règlement intérieur, légalement enregistré auprès des autorités, prévoyait bien la faute en question et la sanction correspondante.
Le licenciement économique est encore plus complexe. Il nécessite de justifier de difficultés économiques réelles (restructuration, difficultés financières) et de suivre une procédure stricte : consultation du syndicat ou de l'ensemble du personnel, priorité de réembauche, etc. J'ai vu une entreprise italienne vouloir supprimer un poste pour raison économique. Ils ont notifié la personne sans avoir préalablement consulté le personnel et sans avoir exploré en interne d'autres solutions (reclassement, formation). Le salarié a contesté le licenciement devant la commission d'arbitrage du travail et a gagné, obtenant le double de l'indemnité de licenciement prévue. L'audit doit donc évaluer non seulement la documentation de la procédure de licenciement, mais aussi la solidité des preuves justifiant le motif, et le calcul exact des indemnités légales (indemnité de licenciement calculée sur les 12 derniers mois de salaire moyen, indemnité de congés payés non pris, etc.).
Règlement intérieur et procédures
Le règlement intérieur ("employee handbook") n'est pas un simple document de présentation de la culture d'entreprise. En Chine, lorsqu'il est dûment enregistré et porté à la connaissance des employés (qui doivent en accuser réception par écrit), il a une valeur contractuelle et peut servir de base légale pour des sanctions disciplinaires. Un audit révèle souvent que ce document est soit absent, soit une traduction approximative du manuel de la maison-mère, inadapté au droit local. Un règlement intérieur valide doit couvrir des points précis : politique de discipline, procédures de sanction (avertissements), règles de sécurité, politique de lutte contre le harcèlement, et surtout, il doit avoir été soumis à l'avis démocratique des employés (via les représentants du personnel ou l'assemblée générale) avant son enregistrement formel auprès du Bureau des Ressources Humaines et de la Sécurité Sociale.
Sans cette formalisation, toute sanction basée sur le règlement intérieur peut être contestée. Je me rappelle d'un client dans la vente au détail qui avait licencié un vendeur pour vol mineur selon ses règles internes. Mais comme le règlement n'avait jamais été enregistré et que la procédure d'avis démocratique n'avait pas été suivie, la commission d'arbitrage a considéré que la sanction était sans fondement légal et a ordonné la réintégration du salarié. L'audit vérifie donc l'existence de ce document, son contenu juridiquement conforme, et la traçabilité complète du processus d'adoption et de communication aux salariés. C'est un pilier essentiel pour une gestion disciplinaire sereine.
Gestion des expatriés
Les employés étrangers représentent une catégorie à part, soumise à une réglementation spécifique et en évolution rapide. L'audit se concentre ici sur la parfaite conformité des titres de séjour et des permis de travail. Le permis de travail étranger, le visa de travail (généralement de type R ou Z) et le permis de résidence doivent être valides et cohérents avec le poste occupé et l'employeur déclaré. Un changement de poste ou de lieu de travail peut nécessiter une mise à jour de ces documents. Une négligence sur ce point peut entraîner l'expulsion de l'expatrié et de lourdes amendes pour l'entreprise. De plus, les expatriés doivent en principe être affiliés au système de sécurité sociale chinois, sauf accord de dispense entre leur pays d'origine et la Chine (comme c'est le cas pour certains pays, sous conditions).
Un autre angle crucial est l'égalité de traitement. Bien que leur package soit souvent différent, les droits fondamentaux des expatriés (congés, durée du travail, sécurité au travail) sont les mêmes que ceux des salariés locaux. Leur contrat, souvent rédigé en anglais, doit intégrer par référence les clauses obligatoires de la loi chinoise du travail et prévoir explicitement que la loi chinoise est compétente pour régir le contrat et résoudre les litiges. J'ai assisté à des situations où des expatriés, en cas de conflit, tentaient de se prévaloir du droit de leur pays d'origine. Une clause de choix de loi bien rédigée est indispensable. L'audit vérifie donc cet alignement partiel avec le droit local et la robustesse des dispositifs administratifs spécifiques à cette population.
Santé et sécurité au travail
Souvent relégué au second plan par les entreprises de services, ce volet est pourtant fondamental et strictement régulé. La loi sur la prévention et le contrôle des maladies professionnelles impose à l'employeur de créer un environnement de travail sûr, de fournir des équipements de protection, de former les employés aux risques, et d'organiser des examens médicaux réguliers pour les postes exposés (bruit, écrans, produits chimiques...). En cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, la responsabilité de l'entreprise est présumée et les conséquences financières (soins, indemnités) peuvent être écrasantes. L'audit vérifie l'existence d'un dossier de sécurité, les procédures documentées, les registres de formation et les comptes-rendus d'examens médicaux.
Un exemple frappant concerne une entreprise de design où un employé s'est plaint de troubles musculo-squelettiques chroniques liés à son poste de travail. L'entreprise n'avait jamais évalué les risques ergonomiques, ni organisé de pauses obligatoires, ni fourni de matériel adapté. L'employé a finalement été reconnu en maladie professionnelle. L'entreprise a dû prendre en charge l'intégralité des soins, verser une indemnité importante, et a subi un contrôle approfondi de l'administration du travail. L'audit dans ce domaine est donc un outil de prévention des risques opérationnels et financiers majeurs, au-delà de la simple conformité légale.
Relations collectives
Même si le syndicalisme en Chine a ses spécificités, les entreprises étrangères à Shanghai ne doivent pas ignorer les canaux de représentation collective. Dès qu'une entreprise compte plus de 25 employés, elle est tenue de mettre en place un comité de représentants du personnel ou d'établir un syndicat de base. Ces instances ont un rôle consultatif obligatoire dans des domaines clés : l'élaboration ou la modification des règles internes, les décisions de licenciement collectif, les plans de réorganisation importants. Négliger cette consultation est une faute de procédure qui invalide souvent les décisions managériales. L'audit vérifie l'existence et le fonctionnement formel de ces instances, la tenue de réunions, et la documentation des avis émis.
Dans les faits, beaucoup de petites et moyennes entreprises étrangères fonctionnent sans structure formelle, ce qui est un risque latent. Je conseille toujours à mes clients, même en deçà du seuil, d'instaurer des canaux de dialogue réguliers et de documenter les échanges. Cela démontre une bonne foi et peut servir de preuve en cas de conflit. L'audit évalue donc moins la "vitalité" du dialogue social que le respect des obligations procédurales minimales et la capacité de l'entreprise à démontrer qu'elle a écouté les représentants du personnel avant de prendre des décisions impactant les droits et intérêts des employés.
### Conclusion et Perspectives Naviguer le paysage de la conformité RH à Shanghai est un marathon, pas un sprint. Comme nous l'avons vu à travers ces huit angles, les pièges sont nombreux et les conséquences d'un non-respect peuvent être financièrement lourdes et nuire à la réputation de l'entreprise. Un audit de conformité n'est pas un acte de défiance envers ses équipes RH, mais bien un outil stratégique de gestion des risques et de création d'un environnement de travail stable et équitable. Il permet de passer d'une posture réactive (gérer les litiges) à une posture proactive (les prévenir). Pour les entreprises étrangères, l'enjeu va au-delà de la simple légalité. Il s'agit de construire une relation de confiance avec leurs employés locaux, dans le respect du cadre culturel et juridique chinois. À mon avis, avec la digitalisation croissante des administrations chinoises (intégration des données fiscales, sociales et douanières), les contrôles vont devenir encore plus transversaux et automatiques. La conformité "à la