Contrôle et Pouvoir
La première question, et la plus fondamentale, est celle du contrôle. En Chine, avoir la majorité des parts ne garantit pas toujours un contrôle absolu, surtout dans les Joint-Ventures (JV). Le droit des sociétés chinois et les accords d'actionnaires offrent une palette d'outils qu'il faut savoir manier. Par exemple, les décisions « spéciales » requièrent souvent une majorité qualifiée des deux tiers, voire l'unanimité. Si vous détenez 60%, vous pensez tout contrôler ? Pas si vite. Une modification des statuts, une augmentation de capital, une fusion ou une dissolution pourraient être bloquées par votre partenaire minoritaire si cela est bien stipulé. J'ai vu une entreprise allemande, confiante avec ses 65%, se voir paralyser pendant des mois car son partenaire chinois de 35% utilisait son droit de veto sur une décision d'investissement cruciale, prévu dans un accord d'actionnaires mal négocié. La leçon est claire : le pourcentage de capital n'est qu'un point de départ. Le vrai pouvoir réside dans la combinaison des statuts, de l'accord d'actionnaires et du conseil d'administration. Il faut y penser comme à un échiquier : chaque pièce a son mouvement propre. La présidence du conseil, le droit de nommer le directeur général et le directeur financier, les quorums pour les réunions du conseil... Autant de cases à sécuriser. Une structure bien conçue anticipe les conflits futurs et prévoit des mécanismes de résolution, comme les droits de préemption ou les clauses de *drag-along/tag-along*, pour éviter les blocages en cas de désaccord profond ou de volonté de sortie d'un actionnaire.
Dans notre pratique, nous conseillons toujours de modéliser différents scénarios de conflit ou de décision stratégique lors de la phase de conception. Qui a le dernier mot sur le budget ? Sur les nominations clés ? En cas d'impasse, quelle est la procédure ? Ces questions, aussi désagréables soient-elles à évoquer entre partenaires en phase de lune de miel, sont le ciment d'une relation durable. Négliger cette dimension, c'est s'exposer à des batailles juridiques coûteuses et à une perte de contrôle opérationnelle. Rappelez-vous, en Chine comme ailleurs, la confiance est nécessaire, mais le contrat est indispensable.
Flexibilité Future
Une erreur classique est de concevoir une structure figée, uniquement adaptée au projet de lancement. Or, une entreprise évolue : elle peut avoir besoin de lever des fonds, d'accueillir un partenaire stratégique, de créer des filiales, ou de se préparer à une introduction en bourse. Une structure trop rigide ou trop complexe dès le départ peut rendre ces évolutions extrêmement coûteuses, voire impossibles, sans une refonte totale. Prenons le cas d'une start-up française que nous avons accompagnée. Les fondateurs avaient créé une WFOE (Wholly Foreign-Owned Enterprise) détenue à 50/50 par deux holding basées dans deux pays différents. C'était simple au début. Mais quand ils ont voulu attirer un fonds de capital-risque chinois, la danse a commencé : le fonds exigeait des droits spécifiques et refusait de traiter avec deux entités étrangères dispersées. Il a fallu restructurer, créer une holding intermédiaire, ce qui a pris du temps et généré des coûts fiscaux imprévus.
Il faut donc penser « scalable » dès le jour 1. L'utilisation d'une holding offshore (comme à Hong Kong) pour détenir la WFOE en Chine est une pratique courante qui offre une grande flexibilité pour les futures cessions de parts, les levées de fonds internationales et l'optimisation des flux. De même, la question des stock-options pour les employés clés doit être envisagée tôt. Le droit chinois est de plus en plus accommodant sur ce point, mais il faut prévoir le cadre dans les documents constitutifs. Enfin, si une entrée en bourse en Chine (par exemple sur le STAR Market) est un horizon, même lointain, la structure doit être compatible avec les exigences réglementaires des CSRC (China Securities Regulatory Commission). Bref, concevoir sa structure, c'est aussi écrire les premiers chapitres de son futur livre d'histoire.
Considérations Fiscales
Ah, la fiscalité ! Un sujet qui fait frémir mais qui, intelligemment abordé, peut générer des économies substantielles. La structure actionnariale et la chaîne de détention ont un impact direct sur l'efficacité fiscale. Le choix du lieu d'implantation de la holding mère (si vous en utilisez une) est crucial. Les traités contre la double imposition (DTA) que la Chine a signés avec différents pays offrent des taux de retenue à la source sur les dividendes et les redevances variables. Par exemple, tirer des dividendes depuis une WFOE chinoise vers une holding située dans un pays sans DTA favorable peut entraîner une retenue à la source de 10%. Avec un bon DTA, ce taux peut descendre à 5% ou même moins.
Un autre point souvent sous-estimé est la possibilité de regrouper les pertes. Si vous prévoyez plusieurs entités en Chine (une société de trading, une usine de production, un centre R&D), une structure holding peut permettre, sous certaines conditions, de consolider les résultats et d'imputer les pertes d'une entité sur les bénéfices d'une autre. C'est un levier puissant en phase de démarrage ou d'expansion. Mais attention, les autorités fiscales chinoises (la SAT) sont devenues très sophistiquées et vigilantes face aux schémas d'évasion fiscale agressive. La substance économique de vos structures intermédiaires est scrutée. Une « boîte aux lettres » sans employés, sans locaux et sans activité réelle ne passera plus. Nous avons dû aider un client à « substantiver » sa holding à Hong Kong en y créant une réelle présence managériale pour sécuriser les bénéfices du DTA. La règle d'or est : l'optimisation fiscale est légitime, l'évasion fiscale est risquée. Concevoir avec un conseil fiscal expérimenté en droit chinois et international est non-négociable.
Conformité Réglementaire
En Chine, plus qu'ailleurs peut-être, la structure est fille de la réglementation. Certains secteurs sont interdits ou restreints aux investissements étrangers. La fameuse « Negative List » (Liste Négative) évolue chaque année et dicte les règles du jeu. Pour les secteurs autorisés mais régulés (comme l'éducation, la santé, les services cloud), la forme juridique (WFOE, JV coopérative, JV équitable) et les pourcentages de détention autorisés sont stricts. Tenter de contourner ces règles par des accords contractuels opaques (comme les fameuses « structures VIE » utilisées dans le tech) comporte des risques juridiques élevés, comme l'a montré la récente vague de régulation.
La conformité ne s'arrête pas à l'enregistrement initial. Les déclarations annuelles, les audits obligatoires, les rapports à la SAFE (State Administration of Foreign Exchange) sur les mouvements de capitaux, tout cela est influencé par la structure. Une holding complexe avec de multiples niveaux peut alourdir considérablement le fardeau administratif et multiplier les points de contrôle. J'ai le souvenir d'un client scandinave dont la structure à trois niveaux a rendu un simple transfert de dividendes si complexe et long qu'il a fini par renoncer à le faire, gelant ainsi sa trésorerie en Chine. La simplicité, quand elle est possible, est souvent un atout majeur pour une conformité sereine. Il faut trouver le point d'équilibre entre les objectifs stratégiques et la réalité administrative chinoise, qui peut être... exigeante, disons-le ainsi.
Gestion des Risques
Isoler les risques est une fonction essentielle d'une bonne structure. L'idée est de protéger le patrimoine du groupe en limitant la responsabilité financière et légale de chaque entité. En Chine, le principe de la responsabilité limitée des actionnaires est bien établi, mais il peut être érodé dans certaines situations, notamment en cas de faute grave ou de mélange des patrimoines. Créer des entités juridiques distinctes pour des activités à risques différents (par exemple, une entité pour la production, une autre pour la propriété intellectuelle, une autre pour la distribution) est une sage précaution. Si un litige survient sur un produit dans l'entité de production, il ne devrait pas, en théorie, menacer les actifs de l'entité de distribution ou les droits de PI.
Ce cloisonnement est aussi valable pour les partenariats. Si vous avez plusieurs JV avec différents partenaires chinois, il est généralement prudent de les tenir dans des véhicules juridiques distincts. Ainsi, les problèmes d'un partenariat (un conflit, une faillite) ne contaminent pas les autres. C'est du bon sens, mais j'ai été surpris de voir combien d'investisseurs, pour des raisons de simplicité administrative ou de coût initial, regroupent tout dans une seule et même entité. C'est un pari risqué. Dans un environnement juridique en évolution rapide comme la Chine, cette approche « silo » permet de dormir un peu plus tranquille. Elle facilite également les cessions ou sorties partielles, car vous pouvez vendre une branche d'activité sans démanteler l'ensemble de l'édifice.
Relations avec les Partenaires
Enfin, et c'est peut-être le point le plus « humain », la structure doit refléter et encadrer la relation avec vos partenaires locaux, qu'ils soient des investisseurs financiers ou des partenaires industriels. En Chine, la relation (*guanxi*) est primordiale, mais elle doit s'inscrire dans un cadre clair. Un accord d'actionnaires bien rédigé est le manuel de cette relation. Il doit aller au-delà des clauses légales standard et aborder les spécificités du business. Comment sont prises les décisions opérationnelles au jour le jour ? Comment sont résolus les désaccords entre les désignés des actionnaires au sein de la direction ? Quel est le mécanisme de sortie pour un partenaire qui souhaite se retirer ?
J'ai assisté à la dissolution douloureuse d'une JV sino-française où, faute d'accord préalable sur la valorisation des parts en cas de sortie, les parties se sont déchirées pendant deux ans devant les tribunaux, détruisant au passage la valeur de l'entreprise. Une clause de *shotgun* ou un prix prédéfini par une formule auraient pu sauver les meubles. Il faut aussi être conscient des différences culturelles dans la gouvernance. L'approche consensuelle attendue par un partenaire chinois peut entrer en conflit avec la culture du vote majoritaire d'un investisseur occidental. La structure et ses règles de gouvernance doivent trouver un compromis acceptable pour tous, en prévoyant des étapes de médiation avant d'en arriver à l'arbitrage. C'est là que l'expérience d'un conseil qui connaît les deux mondes devient inestimable pour traduire les intentions en mécanismes juridiques robustes et culturellement intelligents.
## Conclusion Concevoir la structure actionnariale de son entreprise en Chine est bien plus qu'une formalité administrative. C'est un acte stratégique qui engage l'avenir. Comme nous l'avons vu, cela touche au contrôle, à la flexibilité future, à l'efficacité fiscale, à la conformité réglementaire, à la gestion des risques et à l'équilibre des relations avec les partenaires. Négliger cet aspect, ou le déléguer sans une réflexion approfondie, c'est s'exposer à des difficultés majeures qui pourraient compromettre le succès de toute l'aventure chinoise. L'objectif, in fine, est de créer un cadre juridique solide et agile qui serve votre stratégie business, pas qui l'entrave. Il n'existe pas de structure idéale universelle, mais une solution sur mesure, fruit d'un arbitrage entre vos objectifs, votre secteur d'activité, votre appétit pour le risque et la réalité du droit et de la pratique en Chine. Ma réflexion prospective, après toutes ces années, est la suivante : la régulation chinoise va continuer à évoluer, vers plus de transparence et de standardisation, mais aussi avec des surprises. Une structure bien pensée est celle qui peut absorber une partie de ces chocs réglementaires sans s'effondrer. Investir du temps et des ressources expertes sur ce sujet en amont est, à mon avis, l'un des meilleurs retours sur investissement qu'un dirigeant étranger puisse faire pour son projet chinois. --- ### Perspective de Jiaxi Fiscal sur la Conception de la Structure Actionnariale Chez Jiaxi Fiscal, nous considérons que la conception de la structure actionnariale est la pierre angulaire de tout investissement réussi et durable en Chine. Notre expérience nous montre qu'une approche purement défensive ou minimaliste est une erreur. Une structure optimale doit être **stratégique, résiliente et évolutive**. Elle doit d'abord sécuriser les fondamentaux : un contrôle effectif aligné sur les apports et la stratégie, et une isolation rigoureuse des risques. Ensuite, elle doit intégrer une **vision dynamique**, en pré-validant des scénarios de croissance (levées de fonds, introduction en bourse) et de sortie (cession, transmission), afin d'éviter des restructurations coûteuses et perturbatrices. Enfin, elle doit être **pragmatique et conforme**, c'est-à-dire parfaitement adaptée aux spécificités du secteur (Negative List), à la réalité administrative chinoise et aux impératifs fiscaux tant locaux qu'internationaux. Nous préconisons une méthodologie en trois temps : 1) **L'audit stratégique** pour aligner les objectifs business de long terme avec les options structurelles. 2) **La modélisation comparative** de plusieurs scénarios, en chiffrant leurs implications en termes de contrôle, de coûts, de fiscalité et de complexité administrative. 3) **L'implémentation sécurisée**, en veillant à la parfaite cohérence entre tous les documents légaux (statuts, accords d'actionnaires, pactes d'associés) et à leur enregistrement sans accroc auprès des diverses autorités (SAMR, SAFE, etc.). Pour nous, une bonne structure est un atout compétitif qui libère l'énergie des équipes pour se concentrer sur le business, en toute sérénité juridique et financière.